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L’Empreinte impériale

Le visage de l’homme est troublant. Le dessin des paumettes, la forme des lèvres, la rondeur des yeux et le corps de petite taille lui donnent un caractère enfantin. Son regard scrute l’horizon tel un faucon prêt à fondre sur sa proie.

Des milliers d'hommes autour d'un seul

Les mains gantées enserrent les rênes fermement. Autour de lui, le silence se fait. Un léger vent d’ouest balaie le sol. La silhouette du cavalier se dégage d’un nuage de terre jaunie par le soleil d’Opale. Le grand Napoléon se tient là, face à la Manche, face à l’Angleterre, si près et pourtant si inaccessible… Engagé dans une folie d’expansion, le fin stratège veut mettre à genoux l’Anglais. En 1805, il traverse le camp de Boulogne. L’Empereur s’installe à son trône. Devant lui s’alignent 180 000 hommes, 20 000 spectateurs. Craint comme admiré, il est là assis au milieu des fanions et des étendards. Une quarantaine de navires hissent les couleurs de la France au milieu de la rade. L’Empereur Napoléon marque de ses griffes les territoires qu’il conquiert. Tout comme ses nombreuses conquêtes féminines, la Côte d’Opale garde en elle le souvenir fiévreux de cet aigle fougueux. Le parcours Napoléonien illustre la puissance de l’homme de guerre amateur d’art et de patrimoine. Depuis Wimille, suivez l’empreinte impériale.

Le rêve entravé

Au fond de lui persiste une petite lueur de doute. Entre lui et l’Anglais, 40 km les séparent. Un détroit maritime à traverser. La mer n’est pas son élément. Il n’y comprend rien à ces marées, les vents, les courants, les navires… Du jargon d’hommes rustres et sans délicatesse. Il rassemble toutefois son armada et ses troupes. Il fait construire des ports. Boulogne-sur-Mer, Wimereux et Ambleteuse. Pour la guerre, il faut des hommes, beaucoup. Les messagers traversent déjà la France avec dans leurs sacoches l’ordre de l’Empereur de le rejoindre. Un rictus de plaisir déforme la commissure de ses lèvres. L’impact psychologique grandira avec le nombre de soldats amassés face à l’Anglais. Une butte domine le terrain des opérations. Il y voit un signe de domination et de réussite. De là, le panorama est immense, sublime. Dans son dos, la terre s’étend à l’infini dans une verdure écrasante.

De l’autre côté, la mer se colore au gré des désir des nuages et du soleil. Celui en chauffant l’eau froide élève une brume, si épaisse qu’elle lui rappelle celle des sommets des Alpes. Cela ne l’a jamais fait reculer. Les démons n’habitent pas les brumes…Le vent ébouriffe sur son front quelques mèches rebelles lui donnant un air joyeux. Un sourire en coin éclaire son visage d’une lueur courageuse “ Cette terre est constamment balayée par le vent” songe-t-il. “Lorsqu’il n’est pas d’Ouest, il est glacial de Nord-Est. Il faudra bien choisir le jour de la traversée.” Les bateaux arrivent au fur et à mesure.

Un camp dressé sur le littoral

Dominant la ville, le camp de Boulogne est installé sous la direction d’officiers du génie. Le terrain est nivelé. On trace des routes et des chemins d’accès aux futurs baraquements. Trois rangées dessinent leur implantation sur 4 kilomètres. Au troisième rang, s’élèvent les baraques des officiers, les cantines, puis au-delà, les cuisines prévues pour servir chacune un bataillon. On peint les murs en torchis à la chaux. Chaque baraque abrite quatorze hommes. Ils dorment sur un long bat-flanc incliné, garni de paille et de quelques couvertures. Des hommes créent des jardins pour cultiver des légumes. Le camp est fait pour durer.

 

Une armée vaillante récompensée par la Légion d'Honneur

Guidée par la passion et par son chef, placée sous les ordres du Général Lazare la “Grande Armée” s’entraîne sans relâche. La cavalerie et l’artillerie ne relâchent jamais la bride sur terre. Dans les bassins creusés à cet effet, les équipages enchaînent le maniement chaque jour des avirons et des canons. «On ne gagne pas une guerre sans entraînement. L’exigence nous permettra de vaincre» aime-t-il à répéter à ses généraux. Ce 28 Thermidor an XII (le 16 Août 1804) au milieu d’étendards et de drapeaux surmontés d’aigles d’or flottant dans le vent d’Opale, Napoléon distribue les croix de Légion d’Honneur. À ses pieds, ils sont tous là : le prince Joseph, les ministres et maréchaux de l’Empire, les amiraux, les grands officiers de la couronne, les colonels et généraux. Les trophées d’armes les entourent. Derrière eux, un capitaine de chaque corps de l’armée tient un drapeau déployé. Les délégations représentent les rayons de l’aigle impérial. Le feu roulant de trente batteries accompagne le serment de l’Empereur repris par les 180 000 hommes, tandis que les voiles tendues par le vent d’Ouest font entrer dans le port de Boulogne-sur-Mer la flottille impériale.

Un épisode décisif de l'histoire impériale

Après le serment à la grande armée, le soldat gravit les douze marches qui le séparent de l’Empereur. Ce dernier de ses mains douces et effilées lui offre la croix et le ruban. Le sentiment de puissance se mêle à la fierté de diriger cette armée. L’Empereur n’aime pas la mer et elle n’aime pas l’homme arrogant. Lors de manœuvres, une tempête envoie par le fond douze embarcations et plus de deux cents hommes avec. Les vents d’Est restent défavorables à toute action. Le faste des grands jours a disparu sous l’épais brouillard humide de la côte.

Il manque à Napoléon une flotte de guerre puissante pour lui assurer la maîtrise de la mer. Il le sait. L’ordre d’appareiller ne vint jamais. L’Empereur abandonne la mer pour prendre la terre. Le camp fût levé. En 1812, Napoléon transformera Rome, Hambourg, Barcelone ou Amsterdam en chefs-lieux de départements français… mais le souvenir de l’Anglais hantera à jamais ce fin stratège…

Texte/iconographie : Xavier Blanquet