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LE BOUQUET DE MOISSON

Lors de l’affreuse disette de 1789, les bruits mensongers se répandirent et se trouvèrent fortifiés par la rareté et la cherté des vivres. On ne pensait pas qu’une mauvaise récolte était la cause principale du manque de grains. Mais pas seulement. Les spéculateurs préféraient exporter à meilleur prix. Ceci mettait le désarroi dans la population et provoquait l’inquiétude d’une famine, laquelle ne manqua pas d’arriver. Et les paroles malheureuses de la frivole reine Marie Antoinette déclarant que « si les Français manquaient de pain, ils n’avaient qu’à manger de la brioche » n’arrangèrent pas les choses…

Deux ans plus tard, le gouvernement eut beau mettre les grains en réquisition pour être délivrés à chaque famille en petites mesures, rien n’y fit. La pénurie était toujours là le 6 juillet quand le tribunal criminel du département vint s’installer à Boulogne pour y siéger en tribunal révolutionnaire. Il arriva que l’un des distributeurs, chargé par la municipalité de distribuer les grains aux porteurs de bons, déclara publiquement qu’au lieu d’une guillotine on aurait mieux fait de porter du grain.
Ces paroles chatouillèrent les oreilles des juges qui ordonnèrent l’arrestation immédiate de l’individu qui avait osé tenir des propos inciviques. Heureusement, la municipalité intervint et revendiqua de juger elle-même le coupable, dit qu’il était bon patriote et que ce jour-là il avait bu plus que de coutume. Elle parvint ainsi à soustraire le citoyen à la fureur de l’accusateur public.
Bien des décennies plus tard la situation avait changé. Dans les campagnes, au mois d’août c’était la moisson.
Dans les champs couverts de blés mûrs, on voyait un groupe de moissonneurs qui s’avançait sur le même rythme, le torse nu, la faux lancée et ramenée sans arrêt. A un signal donné, tous s’arrêtaient et sortaient de leur poche une pierre à aiguiser pour affiner la lame de l’outil. Aujourd’hui, les moissonneuses batteuses fauchent un champ en quelques heures, là où il fallait autrefois plusieurs journées pour accomplir ce travail. On gagne du temps ; on perd en pittoresque.
La moisson terminée, les ouvriers agricoles offraient alors à leur employeur une sorte de médaillon fait d’épis de blé tressés et de paille, et désigné sous le terme poétique de bouquet de moisson. C’était tout un art de confectionner ce médaillon. Avec un soin particulier, il fallait d’abord rechercher les plus beaux épis ayant une paille assez longue. On l’épluchait
ensuite et on travaillait le blé au premier nœud et avec précaution pour éviter de le casser. On pouvait alors orner le centre du médaillon de motifs divers, toujours en paille : une fleur, une croix, un fer à cheval…
L’imagination et le goût artistique étaient les qualités requises pour celui qui se chargeait de la réalisation du bouquet de moisson.Entouré de tous ses compagnons faucheurs, il s’en allait le porter solennellement au maître des lieux lequel s’extasiait, remerciait et pour montrer sa satisfaction, il invitait l’ensemble du personnel à des ripailles qu’on désignait sous le terme de « la parsoye ». Ce repas comprenait généralement du porc frais, du pâté, du bœuf, du veau et des tartes au dessert.

Et chacun de ces amateurs de poser la question : d'où venait cette coutume ?

Dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale cette pratique du bouquet de moisson a été totalement abandonnée dans le Boulonnais. Il n’en fut pas de même dans le Montreuillois où cette coutume fut poursuivie par un certain Monsieur Guerville. Celui-ci avait des problèmes d’articulation, sans doute l’arthrose. Son médecin lui conseilla d’exécuter des travaux manuels pour aider la rééducation de ses doigts. D’après son épouse, c’est à partir de ce moment que l’ancien maçon eut l’idée d’entreprendre la confection des bouquets. Comme il était adroit de ses mains et qu’il ne manquait pas de goût, il réussit comme dans tout ce qu’il entreprenait. Pas de quoi faire fortune, en dépit d’une forte demande pour ces médaillons de paille qui trônaient sur les murs des auberges de la région. Les patrons de ces établissements étaient fiers de les exposer et favorisaient volontiers les commandes qui partaient jusqu’au Canada et même jusqu’au Japon.

Et chacun de ces amateurs de poser la question : d’où venait cette coutume ? On n’en savait rien finalement. A ce sujet, le patron de l’auberge d’Inxent, dans le Montreuillois, était fier de les exposer et il favorisait volontiers les commandes qui venaient de l’étranger. Il poussa même sa petite enquête, et trouva qu’ils étaient d’origine ukrainienne. Selon lui, ils rappellent les coiffes de blé ou de seigle portées par les femmes de la région de Kiev
On ne peut pas être affirmatif mais après tout, pourquoi pas !

L’auteur

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André Verley.

Écrivain journaliste. Historien du Boulonnais