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Les mémoires de … La Fontaine St Antoine

Qui connaît Antoine Le Camus aujourd’hui ? Il y a fort à parier que les doigts d’une seule main suffisent pour répondre à cette question. Et pourtant ce n’était pas le premier venu.

Issu de l’une des plus vieilles familles bourgeoises du Boulonnais, seigneur de Bussoye et du Lucquet, il fut l’un des échevins de Boulogne. Quand il parcourait la route de la Haute Ville pour rejoindre son logis familial, en descendant le mont Gambier, il pouvait voir les lavandières wimilloises affairées autour d’une source au pied de cette colline donnant une eau abondante et de qualité, comme le sont d’ailleurs la plupart qui sourdent en Boulonnais. Peut-être animé de compassion pour ces femmes qui trimaient tous les jours et par tous les temps, il décida un jour de bâtir un édifice pour les abriter.

Cette fontaine installée en bordure de la route qui mène de Boulogne à Calais n’est pas « un de ces chefs d’œuvre qui font frémir le cœur des archéologues mais elle ne manque ni de charme ni d’intérêt ». Son toit de forme pyramidale repose sur quatre arcades dont l’une a été murée pour mettre une pompe. Deux inscriptions sur l’une des faces retiennent l’attention. En haut des piliers, la date de construction : «  Anno 1615 ». Et une autre en inscription latine qui laisse perplexe : « ALTISSIMVM SPES REFVGIVM ». C’était la devise d’Antoine Le Camus, pas facile à traduire mais on peut prendre pour acquit celle qui semble rallier tous les suffrages : « L’espoir est le plus haut des refuges ». Dès lors, il est clair et net que la construction de cet édicule est due à Antoine Le Camus.

 

L’espoir est le plus haut des refuges

La Fontaine St Antoine • Collection A. Verley

Des pierres conteuses d'histoires

Cependant, la tradition orale s’accorde pour affirmer qu’à l’origine, il s’agissait tout simplement d’un oratoire dédié à son concepteur pour honorer son saint patron, Antoine.
Le regretté P.A . Wimet disait à ce propos que les pierres qui ont façonné cette construction racontent mieux l’histoire que les livres. Alors, comme lui, allons interroger la vieille fontaine qui est « au milieu du carrefour comme un concierge dans sa loge ». Et Dieu sait combien les concierges, impassibles mais vigilantes, enregistrent tout ce qui se passe dans l’aire qui leur est dévolue. Combien de carrosses, de diligences, de toutes sortes d’engins de transport sont passés devant cette fontaine sans même lui jeter un regard.

Fontaine_St Antoine • Collection A. Verley

Le premier grand personnage qu’elle vit passer fut le roi Louis XIII ; le roi de France n’avait que 19 ans quand, venant de Calais, il se dirigea vers Boulogne un soir de Noël de l’an 1620. «  En ce temps-là, dit la fontaine, j’étais toute jeune avec encore des pierres toutes blanches. J’abritais une statue du bon saint- Antoine. L’ermite, je peux vous le dire, n’était pas très bavard et je n’avais pour me distraire que le trafic de la route, je vous l’assure ».
Et le 19 juillet 1680 elle connut un premier émoi et en resta toute émoustillée bien longtemps. Ce jour-là, c’est toute la cour de Versailles en grand apparat, Louis XIV en tête, qui déploya ses fastes. Le roi avait faim. Avant de gagner Calais, il s’arrêta à Wimille pour déjeuner. Vous pensez bien que ce fut le branle-bas général dans la commune. La chronique ne dit pas où la table fut dressée ni de quoi fut composé le menu royal. Les agapes terminées, le roi se dirigea vers Ambleteuse où l’attendait Vauban qui voulait faire de cette cité un port militaire. Un quart de siècle plus tard, la fontaine sommeillait quand le 4 mai 1717 elle n’en crut pas ses yeux, si l’on peut s’exprimer ainsi. Pour elle ce fut un véritable choc. Voilà qu’arrivait Pierre le Grand, le tsar de toutes les Russies. L’itinéraire de son voyage à travers toute l’Europe intégrait Wimille. « Le tsar voyage dans un véhicule de son invention, un vieux phaéton grossièrement fixé sur une sorte de brancard porté par plusieurs chevaux. Sa Suite chemine en berline, en civière et en chaise à trois chevaux ». C’était ahurissant ! Elle en rigole encore notre fontaine. On aurait dit un défilé carnavalesque !

Deux décennies plus tard, le 6 juillet 1744, elle entendit les clameurs qui s’élevaient dans le ciel de Boulogne, une ferveur populaire immense à l’égard de Louis XV qui devait s’écrier dans une autre occasion : « Qu’ai-je donc fait pour être aimé ainsi ? ». Selon une relation officielle, le roi ne serait venu à Boulogne que pour demander à souper au duc d’Aumont. Mais le roi n’a pas jeté un regard sur la fontaine puisqu’il revenait de Calais en longeant la côte. Des clameurs, la fontaine en eut encore plein les oreilles quand la Révolution imprima son assise sur tout le pays.
Elle a dû se demander quels étaient ces étranges ballets, exécutés par des soldats en drôles d’habits, pantalon rayé et veste courte chantant à tue-tête la Carmagnole. Elle a vu aussi ces représentants du peuple empanachés se draper dans leur nouvelle dignité. « On m’a dit, murmura-t-elle, qu’on les appelait les sans-culotte. A mourir de rire ! ». Un régime chasse l’autre.

Avec le Consulat et l’Empire, ce furent encore des années folles avec le ballet incessant des troupes martelant les pavés wimillois. Quelle cohorte de grands personnages de l’époque sont passés au pied de la fontaine parmi lesquels Napoléon 1er en personne. La dernière fois, ce fut le 25 mai 1810. Le cortège qui l’escortait comprenait, selon la chronique, 48 voitures, 280 chevaux et 95 postillons. Notre fontaine n’en revenait pas d’avoir côtoyé à plusieurs reprises celui qui dominait l’Europe. « Quel homme, mon Dieu, quel homme, soupira-t-elle, on n’en voit pas souvent des comme ça ! ».
Cependant la roue du destin tourne ; après avoir acclamé un empereur, Wimille cria : vive le roi ! Louis XVIII, en effet, après avoir quitté l’Angleterre où il s’était réfugié, débarqua à Calais pour reprendre place sur le trône de France. Affalé au fond de sa berline, accompagné de sa nièce, la fille de Louis XVI,   a-t-il seulement aperçu la fontaine Saint-Antoine en traversant Wimille ? Rien n’est moins sûr.

 

Avec un bond de plus d’un siècle, la veille de Noël…

Le 24 décembre 1940, arrivait, par train spécial en gare d’Audruicq, le chancelier allemand, Hitler en personne pour une visite d’inspection des postes du Gris Nez. L’après-midi, il traversa Wimille en trombe pour se rendre au port de Boulogne. D’autres soldats, les Canadiens du régiment de la Chaudière, libéraient la commune le 21 septembre 1944 avec la reddition de la garnison allemande installée au château de Lozembrune.
« Hé! s’écria soudain la fontaine. Il ne faudrait pas oublier mon voisin de la villa des tilleuls un peu plus haut au mont Gambier. Certes, c’était à la belle époque, c’était encore un gamin mais, quand même un gamin qui s’appelle Charles de Gaulle;cela ne peut être jeté aux oubliettes ». Il est revenu à Wimille le 29 septembre 1959 ; l’homme du 18 juin était devenu le président de la République Française.
Cependant la fontaine n’a pas vu que des têtes couronnées et des chefs d’Etat. Bien d’autres personnages qui se sont illustrés d’une manière ou d’une autre dans différents domaines ont aussi emprunté la route qui relie Boulogne à Calais. Vous pensez bien qu’on ne peut les citer tous.

Soudain, la fontaine nous fait une dernière confidence. « J’ai connu, dit-elle, la plus grande émotion depuis mon existence au début des années 1960. Je ne sais quelle mouche a piqué les autorités mais on a trouvé que j’étais vraiment encombrante et l’idée est venue de me raser purement et simplement. Pour quelle raison ? Allez savoir ! Il paraît qu’on avait besoin de mes quelques carrés de terre pour un projet quelconque, jamais bien défini. Heureusement des voix se sont élevées et P.A. Wimet s’est fait le héraut de la contestation ». C’est la rumeur qui accrédita la thèse de la démolition et elle fut tenace. En fait, cet imbroglio prit naissance quand la municipalité entreprit une étude pour la restauration de ce petit monument.
Elle a donc été épargnée de la démolition et surtout elle a bénéficié d’une cure de jouvence notre fontaine, qui reste, en quelque sorte, le symbole de la commune car «  sans elle, Wimille ne serait plus tout à fait Wimille ».

L’auteur

A_verley_écrivain journaliste_Historien du Boulonnais

André Verley.

Écrivain journaliste. Historien du Boulonnais